Le paysage fait partie intégrante de l’histoire de l’art. Mais, au crépuscule du XIXe siècle, certains peintres ont transfiguré cet environnement naturel en médium de la psyché humaine, contexte non plus seulement géographique ou spatial, mais aussi capable d’exprimer le mysticisme... qui est lui-même issu d’un certain rapport au cosmos – et donc à la nature. On les a appelés les expressionnistes, les symbolistes, les Nabis... L’exposition « Au-delà des étoiles » qui se tient en ce moment au Musée d’Orsay rend compte de ce mysticisme fin de siècle qui transforma notre approche du paysage dans la peinture, miroir de l’homme transcendé se révélant selon la sensibilité de l’artiste...
Si l’homme préhistorique a peint avant tout l’être sans forcément retranscrire son environnement (mais peut-être que les parois des cavernes, appartenant à cet environnement, étaient déjà considérées comme tel), avec l’Antiquité le décor naturel se met progressivement en place, souvent de manière sporadique ou schématique, puis ornementale (le végétal tend parfois à devenir motif)... Et puis la puissance des religions poussera les artistes d’avant le Renaissance à représenter le paysage selon une vision toute théologique, rejoignant l’idée de l’Éden ou des visions des écrits sacrés (le motif végétal devient symbolique). Nous n’étions pas encore dans la retranscription réaliste du paysage naturel. C’est à partir de la Renaissance que les artistes – en lien avec toutes les avancées et découvertes sur l’être humain et la géographie du monde – ont commencé à s’intéresser foncièrement au paysage, dans cette optique de comprendre et d’exprimer la nature de... la nature. S’ensuivit une longue période où le paysage devint un élément primordial de la peinture – outre bien sûr les scènes d’intérieur, dixit de La Tour ou Vermeer... Ce fut un âge d’or qui s’imposa naturellement durant quasiment un demi-millénaire, du XVe siècle à la charnière du XIXe et du XXe... Mine de rien, cette longue période inscrivit durablement le rôle du paysage en peinture, presque comme une norme, un exercice de style où chacun cherchait la maestria réaliste, mais aussi un espace où insérer certains faits historiques, géographiques, humains... Et puis arriva l’essor de la science et de l’industrialisation dans la seconde moitié du XIXe siècle, et les horizons bougèrent...
En réaction à cet essor des sciences et à un certain naturalisme laissant de moins en moins de place à l’imaginaire et à la mystique de l’être, quelques peintres-poètes réagirent en créant des œuvres où le paysage ne fut plus la seule représentation du monde extérieur mais bien un reflet du monde intérieur de l’artiste. Non pas d’anthropomorphisme (quoique certains symbolistes aient investi cette voie pour « humaniser » le végétal, ou tisser des liens contre nature), mais un paysage envisagé comme un réceptacle de l’âme humaine, ou bien un environnement contaminé par la psyché de l’artiste ou du personnage peint, ou encore une incarnation de l’idée même de mystique, reliée à cette osmose de l’être humain avec le cosmos, matières vivantes mêlées dans une même vision. Ces « nouveaux paysages » qui ne sont plus un arrière-plan où s’inscrit le personnage (s’il y en a un – ou plusieurs –, ce qui n’est pas forcément le cas) afin de le situer dans l’univers donnent donc à voir un univers intérieur qui « déteint » sur son environnement, entraînant le spectateur à aller bien au-delà de la simple vision d’une image. Le paysage se fait ici lumineux, angoissant, torturé ou serein, mais il n’est jamais anodin, même chromatiquement, portant en lui tout le spirituel et l’illumination du créateur.
Alors, évidemment, l’exposition débute par Monet (quoi qu’on aurait pu commencer par Turner, le premier peintre à avoir fait exploser le paysage en autre chose, plus en adéquation avec le ressenti humain qu’avec une « photographie » du réel), car ce peintre fut l’un des détonateurs du XIXe siècle et dont les tableaux furent parmi les premiers à s’affranchir de la représentation normée pour accéder à une autre manière d’appréhender la puissance de la nature. Après Monet, il y aura bien sûr Van Gogh, Redon, Vallotton, Munch, ainsi que tant de magnifiques peintres symbolistes qui ont continué d’investir spirituellement le paysage, avant d’arriver à Kandinsky, la fin de l’exposition, avec des paysages abstraits, nouvelles ouvertures dans notre approche et notre compréhension du rapport entre notre mental et la nature qui nous entoure... Outre les peintres précités, vous pourrez aussi admirer des œuvres de Gauguin, Maurice Denis, Ferdinand Hodler, mais aussi des peintres d’Amérique du Nord moins connus du public français.
Cecil McKinley
Exposition « Au-delà des étoiles, le paysage mystique de Monet à Kandinsky » au Musée d’Orsay (1 rue de la Légion d’honneur, 75007 Paris) du 14 mars au 25 juin 2017. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h00. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45. Entrée : 12,00€.
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